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Altered Carbon : L'inévitable futur de notre société ?

  • S.N.Blaster
  • 26 févr. 2018
  • 6 min de lecture

Disponible sur la célèbre plateforme de streaming américaine depuis le 2 février 2018, la nouvelle série Netflix « Altered Carbon » dresse le tableau d’une société futuriste, caractérisée par d’éminents progrès technologiques permettant aux êtres humains de ne jamais réellement mourir.

Il s’agit d’une adaptation du roman homonyme paru en 2002 et écrit par Richard K. Morgan, auteur britannique spécialisé dans le courant Cyberpunk - un genre narratif qui évolue entre science-fiction et dystopie.


Le récit nous transporte dans un univers sombre et complexe à travers les mésaventures de Takeshi Kovacs, un ancien rebelle combattant le « Protectorat » - le « système » de cette époque - ramené à la vie 250 ans après sa mort corporelle pour une mission tout à fait hors-normes : retrouver le meurtrier de l’un des hommes les plus riches et influents de ce nouveau monde.

Le rôle principal de Takeshi est interprété par Joël Kinnaman, acteur suédo-américain ainsi qu’étoile montante du cinéma actuel qui nous offre une prestation débordante d’adrénaline. Ces dernières années, il a su démontrer son talent dans des films comme Enfant 44 et Suicide Squad, ou encore avec les séries House of Cards et The Killing. Kinnaman imposa en même temps son style d’actorat : une signature personnelle entre stoïcisme et nonchalance déguisée, derrière laquelle se trouve en fait un surplus d’émotions en ébullition.


En dépit de l’aspect très avant-gardiste de l’intrigue, se déroulant plusieurs centaines d’années dans le futur, la série nous expose finalement le portrait d’une société presque identique à celle que nous connaissons aujourd’hui. Nous nous retrouvons face à la confrontation de deux mondes modernes complexes - l’un réel, l’autre fictif et futuriste - qui impliquent un nombre infini de questionnements, d’interrogations et de problèmes éthiques, environnementaux ou sociétaux, de mêmes natures.


Il est alors une question que l’on peut se poser : Altered Carbon est-elle la vision annonciatrice de l’inévitable futur de notre société actuelle ?


LA VIE OU LA MORT ?


La mort joue-t-elle un rôle fondamental et indispensable dans l’accomplissement de la vie, ou inversement ? Quel lien indissociable existe-t-il dans la relation entre ces deux notions qui semblent opposées ?


Une chose est sûre : l’immortalité est une quête qui anime depuis toujours l’esprit de l’Homme et que l’on retrouve dans la mythologie, la philosophie et la plupart des formes d’expression artistique, ainsi que dans la quasi-totalité des religions et cultes existants. Aujourd’hui encore, la mort est au centre des réflexions modernes, elle continue d’effrayer la plupart des êtres humains et obsède la recherche scientifique qui souhaiterait réussir à l’outrepasser.


Dans Altered Carbon, grâce à une simple puce implantée dans les cervicales - appelée « pile » - qui permet de sauvegarder la conscience et les souvenirs, n’importe quelle personne peut devenir immortelle dans la mesure où son esprit serait transféré dans d’autres « enveloppes ».


Avant toute chose, on s’aperçoit que cette notion de transfert des esprits est directement inspirée de la réincarnation, présente dans la philosophie bouddhiste depuis plus de deux millénaires, et qu'elle renvoie à une thématique d'actualité : le « transhumanisme ». Un sujet controversé sur lequel les chercheurs de la Silicon Valley, notamment, se penchent depuis deux ou trois ans et que l’on peut également retrouver dans la littérature et au cinéma, avec par exemple le film « Transcendance » de Wally Pfister, sorti en 2014.


Au premier regard, nous pourrions être tenté de dire que c’est une bonne nouvelle, que cela permettrait d’accomplir plus de choses, d’avoir le temps de se construire une vie longue, heureuse et complète sans avoir à se soucier de l’instant fatidique, si angoissant.

Pourtant la série apporte une vision plutôt négative de la chose, le sujet, traité subtilement, laisse place au doute et au questionnement quant à la notion d’immortalité. Altered Carbon dépeint une société floue, perdue entre la réalité et le virtuel, ne sachant vraiment si la vie éternelle est une cause éthique ou au contraire une absurdité des plus dangereuses : sans la peur de la mort, il devient tout de suite très difficile de trouver un sens à sa vie, ainsi que de concevoir sa place spirituelle au sein de l’univers.

Les divers plaisirs hédonistes - toujours plus malsains, violents et déviants - sont alors poussés jusqu’à leur paroxysme et deviennent la seule source de rythme et de divertissement dans l’existence de tous ces immortels désensibilisés.


QUELLE PLACE POUR LA RELIGION ?


La religion est une notion primordiale dans l’univers narratif de la série. L’encodage religieux interdisant le « ré-enveloppement » des personnes croyantes, la foi s’avère être le seul obstacle existant qui se dresse devant l’immortalité et ces nombreuses conséquences.


L’œuvre nous offre à certains moments des dialogues pour le moins enrichissants, particulièrement entre le lieutenant Ortega et sa mère, qui mettent en exergue le débat très controversé de l’usage des « piles ». Le discours religieux impose alors un raisonnement digne d’intérêt, allant à l’encontre du phénomène de vie éternelle. Parmi les arguments-clefs énoncés, on retiendra entre autres le caractère sacré du corps humain, véritable offrande de la Nature - ou de Dieu. Altérer ce concept de possession individuelle, intime, et surtout à usage unique de son enveloppe corporelle à travers plusieurs changements de corps deviendrait, dans ce cas, un blasphème aux yeux de la vie - ou de Dieu.

LE CAPITALISME REPOUSSE LES LIMITES DE SES PROPRES VICES


S’il est une thématique qui est illustrée et dénoncée dans Altered Carbon, c’est bien celle de l’évolution du capitalisme à travers le temps. L’univers exposé dans la série nous révèle une vision de notre système dans le futur, où la technologie de pointe permet au capitalisme omniprésent de pousser tous ses aspects les plus sombres à leur extrême : prostitution de masse, trafics et mutilation d’enveloppes corporelles ou salles de « snuff » légalement encadrées - des activités qui sont rentrées dans les mœurs et demeurent accessibles à qui pourra payer le prix...


Dans une société où il est techniquement possible d’accéder à l’immortalité - moyennant une importante somme -, les inégalités sociales atteignent des sommets inimaginables faisant presque passer notre époque pour une véritable période de justice sociale. Les individus les plus pauvres doivent se contenter de posséder une enveloppe abîmée ou d’en récupérer une ayant déjà servie plusieurs fois et ne correspondant pas à leur apparence, sexe ou âge d’origine ; pendant ce temps les plus fortunés reproduisent des clones d’eux-mêmes et peuvent vivre infiniment tout en restant jeunes et dynamiques.


Le système capitaliste semble se diriger vers une impasse, dans laquelle les inégalités sociales et la lutte des classes n’ont jamais été si importantes et si nocives au sein de la population. La société se déchire inexorablement entre les plus puissants et les plus démunis. Les uns sont une poignée d'individus qui se considèrent tels des dieux, vivant dans des palais flottants au cœur des nuages loin du bruit et de la vue des êtres qu’ils estiment « inférieurs » ; les autres tentent désespérément de s’élever dans la hiérarchie sociale, sont condamnés à se soumettre aux caprices des riches et doivent vivre au sol dans des conditions déplorables. Une ambiance sombre, nocturne, sale et malsaine qui rappelle celle de l'univers de Blade Runner.


Soit, peut-être devrions-nous réfléchir sur notre société actuelle - régie par un capitalisme souverain qui se veut déjà toxique (injustice socio-économique, crises environnementales...) - et agir pour que la vision représentée dans Altered Carbon ne soit qu’une fiction et non une réelle perspective d’avenir ?


 

Altered Carbon est une excellente série télévisée qui s’efforce de créer et de reconstituer tout un univers, funèbre et très complexe, mais vraisemblable et passionnant, avec ses propres normes et sa propre identité artistique.

Rythmée et violente, l’intrigue nous maintient en haleine tout en nous invitant à méditer sur des thématiques sociétales et éthiques en lien avec notre époque. Les personnages sont finement construits et attachants ; on exprime avec facilité un sentiment d’empathie envers eux, et au contraire un sentiment de dégoût à l’encontre de la nature purement injuste et vicieuse de ce « système ultramoderne », qui évolue pourtant dans un univers captivant.


Un rêve pour certains, l’immortalité est ici décrite comme un effroyable cauchemar humain, animateur d’une société précaire de plus en plus effrayante et néfaste, qui se perd et se consume avec le temps.


Une seconde saison est déjà programmée par Netflix : honnêtement, la série aurait très bien pu s’arrêter ici car le dénouement proposé vient admirablement clore l’histoire de cette œuvre. Espérons que la suite ne vienne pas dévaloriser l’identité et la richesse artistiques de la série en se perdant dans son propos, et que cette deuxième saison ne soit pas uniquement motivée par le succès généré et la rentabilité économique.



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