L'incompréhension du phénomène Lil Peep
- S.N.Blaster & F.B.
- 13 mars 2018
- 7 min de lecture
Lil Peep, de son vrai nom Gustav Åhr, est mort d'une overdose le mercredi 15 novembre 2017, à l'âge de 21 ans. Ce talentueux rappeur originaire de Long Island s'était fait connaître sur SoundCloud où ses morceaux comptabilisaient plusieurs millions de vues. Celui qui se faisait appeler « GothBoi » avait une signature singulière et novatrice : mélangeant un univers foncièrement Hip-Hop avec des sonorités Emo et Rock. C'est d'une certaine manière le précurseur d'un Emo-Rap trash bien plus proche du Punk que de la Trap moderne, avec des paroles très crues, expressives et cruellement intimes.
Les thématiques récurrentes au sein de ses œuvres étant l’amour - vécu de manière particulièrement douloureuse par le rappeur -, la mort, la dépression ainsi que les stupéfiants. En effet, Lil Peep ne s'en cachait pas : il était dépendant à plusieurs catégories de psychotropes, une addiction clairement affichée sur son compte Instagram. Fervent de Xanax, une benzodiazépine hautement addictive utilisée comme anxiolytique d’action rapide, cette substance aura fini par provoquer sa chute.
Lil Peep était avant tout quelqu’un de profondément dépressif et de psychologiquement instable. Le discours choquant de son manager Chase Ortega lorsqu’il apprit la nouvelle de sa mort confirma ces dires : « Cela fait un an que j’attendais ce coup de fil ». L’état dépressif ainsi que la consommation abusive de drogues de l’artiste n’étaient donc un secret pour personne. Mais comment expliquer le fait qu’il ait franchi ce point de non retour ?

SON PASSÉ, SON HISTOIRE
Né en 1996 en Pennsylvanie d'une mère germano-irlandaise institutrice dans une école élémentaire – de qui il tient son nom de scène - et d'un père germano-suédois professeur d’université, il grandit à Long Island dans l’état de New York. Manifestant un comportement antisocial depuis la tendre enfance, celui que l’on prénomme aussi Gus n’aimait pas l’école ni l’endroit où il vivait : l’ennuyante banlieue pavillonnaire américaine.
Lil Peep était donc un individu profondément solitaire, qui dut également faire face au divorce de ses parents durant son adolescence. Considéré comme marginal par tous ses collègues de classe en qui il n’arrivait pas à se reconnaître, il décida - à l’inverse de ses parents tous deux diplômés d’Harvard - de quitter son lycée à 17 ans afin de suivre des cours par correspondance.
Sa solitude continua de grandir puis se transforma en dépression chronique, rythmée par des pulsions suicidaires. C’est lors de ces phases dépressives que Gustav fit usage de la musique en guise de thérapie. Dès son adolescence, il se retrouva partagé entre le Rock, avec David Bowie et Oasis, et l’univers Hip-Hop, avec notamment Gucci Mane ou encore Future.
Une fois son diplôme en poche, Gus partit s’installer dans la ville de Los Angeles où il projeta d'y vivre de sa passion pour la musique. Après ses deux premières mixtapes sorties en 2015, il poursuivit sa fulgurante ascension avec deux autres projets l'année suivante, et pour finir avec son premier album solo sorti en 2017 « Come Over When You're Sober, Pt. 1 ».
La fin, vous la connaissez...

LA PERCEPTION DE NOTRE SOCIÉTÉ
Dans la confusion provoquée par le décès prématuré de Lil Peep, il y eut une véritable « incompréhension » autour du phénomène et des valeurs qui étaient mises en avant par le rappeur américain et son univers très personnel. À l’heure d’une société numérique et superficielle où tout va très vite, nombreux sont ceux qui n’ont pas compris la complexité et les enjeux existants autour de la vie et de la mort de l’artiste.
Sans parler des individus qui ne jugent que par l’apparence physique - que l’on peut considérer comme très originale chez Lil Peep -, la majorité des médias traditionnels ayant écrit quelques mots sur l’événement tragique s’est contentée de traiter le sujet avec une vision pour le moins réductrice, et assez loin de la réalité bien plus complexe.
Effectivement, de nombreuses voix médiatiques - notamment des rédacteurs de pages touchant une large audience - se sont limitées à une diffamation simpliste et illégitime, visant à user de la mort du jeune interprète pour générer du trafic sur leur site. Sans omettre l’absence de connaissances musicales concernant l’univers artistique du rappeur décédé, ces derniers ont traité un sujet grave et croissant dans notre société avec fort peu d’estime ainsi qu’un cruel manque de rigueur journalistique.
Rattacher la dépression de Lil Peep avec son usage excessif de stupéfiants est quelque chose d’assez logique, de désormais banalisé ; cependant les consciences collectives ont tendance à affabuler et à inverser les causes et les conséquences, car ce sont généralement les troubles psychologiques ou les maladies psychiatriques qui poussent une personne à atteindre un tel stade de consommation de drogues, et non le contraire.
Désigné par des termes terriblement réducteurs et négatifs tels que « junkie » ou « drogué », Gustav Åhr s’est vu - à titre posthume - porter une étiquette ne correspondant pas à son image réelle. Considéré comme un jeune artiste perdu et relativement médiocre, certains sont même allés jusqu’à l’accuser de vouloir combler son manque de talent artistique avec son mode de vie et son look de rockstar bad boy - à base de tatouages et de trips sous psychotropes.
La réalité est évidemment toute autre : Lil Peep était un personnage complexe qui rappait avec un style puissant et intime. Véritable porte-parole de toute une génération désabusée, il abordait des thématiques universelles qui parlent à tous et qui touchent la plupart des adolescents de la société occidentale moderne. Reconstituant sa chambre d’ado sur scène pendant les concerts - l'adolescence étant une période essentielle dans la construction mentale des êtres humains - le rappeur envoyait un message puissant à son auditoire. Ses paroles crues et sombres lui permettaient d’extérioriser ses propres démons tout en mettant le doigt sur un problème moderne et croissant dans notre société : la dépression, une grave maladie psychiatrique.

UNE MALADIE PSYCHIATRIQUE MODERNE ET COMPLEXE
La dépression est un trouble mental caractérisé par des épisodes - ou phases - de baisse significative d’humeur accompagnée de tristesse, d’une faible estime de soi et d’une perte de plaisir ou d’intérêt dans des activités habituellement ressenties comme agréables. Cela est provoqué par un déséquilibre ou une perturbation de la chimie cérébrale pouvant provenir de lésions dans le cervelet, innées ou causées par un accident.
Une chute du niveau de certaines hormones ou molécules jouant le rôle de neurotransmetteur telles que la dopamine, la sérotonine ou la noradrénaline induit directement des états dépressifs, une augmentation de l’anxiété ou du stress, une perte de motivation et d’estime de soi ou encore des pulsions suicidaires.
Dans cette situation extrêmement complexe à vivre et à gérer, la réaction de certaines personnes est de répondre à ce problème par la consommation de différents stupéfiants. En effet, à l’instar des antidépresseurs et anxiolytiques prescrits légalement tels que le Xanax, des substances comme la MDMA ou la codéine permettent également de recevoir un « boost » en dopamine ou en sérotonine qui annule temporairement l’état dépressif.
Le problème étant que les psychotropes et médicaments utilisés à ces fins peuvent impliquer une redescente douloureuse - avec des symptômes dépressifs encore plus importants -, un fort sentiment d'addiction, une dépendance physique et des risques de surdose mortelle. Un cercle vicieux dangereux duquel il est très difficile de s’en sortir.
La dépression est un problème croissant dans notre société actuelle. Certains aspects de cette dernière sont néfastes pour l'équilibre psychologique de certaines personnes. Nous pouvons citer notamment l’aspect superficiel de la vie moderne avec la peur d’être jugé, la technologie omniprésente et ses lourdes conséquences, ou encore la pression professionnelle qui aujourd’hui s’immisce dans nos vies privées avec les appels téléphoniques et les e-mails, même le weekend ou en vacances.
Le phénomène prend de l’ampleur dans notre monde toujours plus complexe et stressant, cela ne peut plus être ignoré car il s'agit d'un problème de santé publique. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 800 000 personnes se suicident chaque année. Et rien qu'aux États-Unis, 60% des individus qui se sont suicidés souffraient de dépression ou d’un autre trouble majeur de l’humeur. Les troubles chroniques de l'humeur ou les burn-outs ont beau être devenus monnaie courante, la dépression demeure fortement méconnue et incomprise de la part du public, et notamment par l'entourage des victimes de cette maladie.
Cependant, Lil Peep n’était pas un acteur isolé de ce phénomène de dépression. De nombreux autres artistes ont clamé ce problème récurrent de notre société : de Kid Cudi avec sa récente cure de désintoxication, à Blackbear en passant même par Mylène Farmer ou Amy Whinehouse - dont le décès avait choqué de nombreuses personnes.
La mort par overdose est un événement assez banalisé dans le monde artistique, notamment au sein de la sphère musicale dont fait partie le Hip-Hop. Très récemment, c'est Fredo Santana, le cousin de Chief Keef, qui est mort d’une surdose mortelle de Lean. Et nous pouvons également citer le regretté membre d’A$AP Mob : A$AP Yams, mort d’overdose le 18 Janvier 2015, lui aussi à cause du fameux « cocktail codéiné ». Il s’agit donc d'un problème majeur s’implantant peu à peu dans notre société et qui concerne des individus psychologiquement instables ou fragiles.
Enfin, Lil Peep parlait souvent des messages de ses jeunes fans lui disant qu’il avait sauvé leur vie et qu’il les avait stoppés dans leur projet de suicide grâce à ses morceaux. L'artiste avait surenchéri en indiquant que cela l’aidait lui aussi, lui apportait de la motivation, car la musique avait réussi à le maintenir en vie pendant les périodes difficiles. Généraliser le cas du regretté Gustav Åhr en le qualifiant seulement de « junkie » et de « rockstar ratée » qui n’apportait rien d’intéressant à la sphère musicale est donc une réelle offense au message du rappeur. Lil Peep représentait tout un groupe d’individus en détresse, un groupe en constante augmentation dont il osait exprimer et dénoncer les peines et les souffrances à travers son style musical si particulier et si personnel.

CONCLUSION
La dépression est un trouble psychiatrique très complexe qui s’impose comme un problème croissant dans notre société. Il s'agit d'une véritable maladie pouvant être extrêmement handicapante, mais elle n'est pas toujours visible par les personnes extérieures et demeure compliquée à appréhender. La communauté scientifique mondiale elle-même n'est pas encore arrivée à se mettre d’accord sur tous les aspects de la dépression, il existe notamment diverses hypothèses sur sa causalité biologique.
Personnage controversé et incompris, Lil Peep avait un univers musical singulier qui ne faisait pas l’unanimité. Que l’on apprécie ou non ses œuvres, nous ne pouvons omettre qu’il était le messager de nombreuses personnes en situation de souffrance. Son message ne sera pas oublié, et son combat contre la dépression a déjà poussé d'autres artistes à s'exprimer sur ce sujet, pour que petit à petit, les choses puissent changer en faveur des victimes de cette maladie.
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