Annihilation : Le thriller psychologique qui remet à l'honneur le genre « SF »
- S.N.Blaster
- 14 avr. 2018
- 5 min de lecture
Disponible sur Netflix France depuis le 12 mars, le long-métrage de science-fiction Annihilation vient redonner un second souffle aux films du genre et mettre en exergue l’étendue des possibilités exploitables dans cet univers narratif. Adaptée par Alex Garland - réalisateur de Ex Machina - du roman homonyme écrit par Jeff VanderMeer en 2014, cette œuvre est bien plus qu’un simple divertissement sur fond d’anticipation.
Source de différends parmi les producteurs, le film ne sera d’ailleurs diffusé en salles de cinéma qu’aux États-Unis, au Canada et en Chine ; le reste de la distribution mondiale étant pris en charge par la plateforme Netflix. L’un des producteurs, David Ellison, jugea que le récit était trop complexe et intellectuel pour le public - c’est dire si l’industrie du cinéma considère que ses spectateurs sont des imbéciles. Il demanda que le dénouement soit modifié et que le personnage principal interprété par Natalie Portman soit adouci. Bien heureusement, le réalisateur ainsi qu’un autre producteur eurent le dernier mot et purent garder le film en l’état ; cela expliquant l’inhabituel choix de distribution comme étant un compromis acceptable.
Annihilation se présente comme un hommage aux plus palpitants films de science-fiction. Entre prise de risques scénaristique, sens de l’esthétique et du détail, il nous est offert une œuvre originale sur un fond de vulgarisation scientifique non inintéressant :
Léna, biologiste et ancienne militaire, se porte volontaire pour participer à une mission scientifique avec quatre autres femmes aux profils divergents. Dans cette exploration, elle espère pouvoir comprendre l’étrange phénomène, appelé « miroitement », qui émerge le long du littoral américain. Une zone géographique écologiquement instable qui a affecté son époux Kane - interprété par Oscar Isaac -, unique survivant de la précédente mission se trouvant entre la vie et la mort.

UN SENS DE L’ESTHÉTIQUE OMNIPRÉSENT
Avant toute chose, Annihilation est un voyage sensoriel. Arborant une photographie magnifiquement bien maîtrisée - un travail exceptionnel réalisé par Rob Hardy -, nous sommes inexorablement immergés dans un univers fantasmagorique d’une beauté à toute épreuve.
À l’image d’une peinture navigant aléatoirement entre l’impressionnisme et le surréalisme, le film est une expédition dans un inconnu splendide et mystérieux. Une nature sauvage aux époustouflants paysages et aux animaux improbables, animés de couleurs explosives et saturées. Des images somptueuses et intrigantes, sublimées par une bande originale pour le moins fascinante. La musique s’accorde parfaitement avec l’ambiance de cet obscur univers. Elle vient amplifier l’étrangeté et l’aspect ésotérique de la situation ; elle illustre le ressenti des personnages, perdus entre l’angoisse et la fascination.
Le film marque déjà de bons points grâce à son traitement esthétique et soigné qui implique un visionnage des plus plaisants. De plus, les choix artistiques effectués lui confèrent une richesse et une crédibilité appréciables d’un point de vue stylistique.

UN VOYAGE PSYCHOLOGIQUE INTÉRIEUR
L’œuvre s’expose comme une odyssée émotionnelle et psychologique qui s’amuse à affecter les sensations et les certitudes de ses personnages, ainsi que de ses spectateurs. Avant d’être scientifique, il s’agit d’un voyage intérieur, introspectif, qui s’impose à chacune des participantes à cette aventure vers l'inexploré et l'inconcevable.
Pensant trouver une forme de rédemption dans l’accomplissement de cette « mission suicide », ces femmes torturées n’en retirent que davantage de doutes et de souffrance. N’ayant pourtant « rien à perdre », ce voyage spirituel les confrontera à leurs peurs les plus intimes. Et cette névrose hallucinogène ne les laissera pas indemnes, en termes de santé physique et psychologique, si jamais elles réchappent à l’inéluctable perdition qui les attend.
Nous parlons non seulement d’une lutte pour leur survie, mais aussi d’un combat constant contre la dégénérescence effrénée de leur esprit, menant à une autodestruction inévitable. Au sein de ce « miroitement », les événements inexplicables - et les mécanismes biologiques dépassant l’entendement qui s’y produisent - détruisent sans aucune difficulté toutes les croyances et tous les repères auxquels les protagonistes pouvaient se raccrocher.
En tant que spectateur, nous demeurons impuissants et accompagnons les personnages dans leur funeste mésaventure. Loin de l’impassibilité, nous nous efforçons de trouver une explication ou d’au moins tenter de comprendre l’impénétrable logique de cet univers surréaliste. Une rupture non conventionnelle des normes habituelles dans les films de science-fiction.

LA MÉTAPHORE DU « MIROITEMENT »
Le phénomène à l’origine de toutes ces anomalies et qui obsède les scientifiques a été nommé « miroitement », car, observé de loin, il fait penser à des éclats, des reflets flous aux couleurs nuancées qui se répandent et envahissent progressivement, mais inéluctablement, la zone alentour.
Outre cela, ce « miroitement » est d’une certaine manière l’illustration, l’allégorie de ce qui est en train d’arriver aux personnages. Elle est la métaphore philosophique de l’autodestruction et de la décadence, qui sont des notions intrinsèques au fonctionnement des êtres humains. Telle une maladie cérébrale dégénérative, ce lieu intrigant désoriente lentement les héroïnes et les transforme en quelque chose d’autre - en les éloignant de plus en plus de la personne qu’elles étaient au départ. Le phénomène altère l’ADN, la composition moléculaire des animaux, végétaux et minéraux se trouvant dans sa zone géographique. Les cellules fusionnent entre elles ou se fragmentent pour détruire et reconstruire différemment ce qui existait jusqu’alors.
Ce film possède effectivement une volonté de vulgarisation scientifique dans son propos, notamment à travers une vision analytique des événements qui est effectuée par plusieurs personnages au fil du récit. Ce dernier définit même à un certain moment le « miroitement » comme étant l’inverse de nous - en tant qu’être vivant -, l’inverse de toute chose. En physique des particules, le phénomène en question pourrait éventuellement s'apparenter à une forme d’antimatière pouvant coexister et interagir avec la matière. L’annihilation est d’ailleurs un terme scientifique de physique qui désigne l’action mutuelle de deux particules par laquelle chacune perd son identité.
Le « miroitement » semble transformer l’écosystème qu’il affecte par des mutations génétiques qui donnent des résultats tout à fait incroyables, et que l'on pourrait même considérer comme étant esthétiques. Pourtant sur les hommes et les femmes cela paraît avoir un effet fatal et définitif, modifiant profondément les personnalités de chacun et leur faisant vivre des situations proches de la folie ou de la dépression. Comme si cet halo miroitant n’était qu’un miroir réfléchissant parfaitement tout ce qu’il touche, et que l’humanité ne pouvait que faire face à son funèbre destin.
Si nous sommes philosophiquement condamnés à nous autodétruire, cela sera perçu par le phénomène de « miroitement » qui le rendra génétiquement possible. Notre transformation ne sera alors ni quelque chose de visuellement agréable, ni en notre faveur de manière générale, mais plutôt la métamorphose biologique de ce que constitue l'essence philosophique de l'humanité. Face à cet impitoyable miroir, nous ne pouvons voir que la dégénérescence et l’autodestruction qui caractérisent les êtres humains dans leur nature et dans leurs comportements depuis l’aube des temps.

Bien plus qu’un simple film d’anticipation, Annihilation possède certains atouts et apporte de la nouveauté aux œuvres du genre. Très esthétique, sur fond de vulgarisation scientifique avec une intrigue originale, il démontre bien les impressionnantes possibilités de l’univers de la « science-fiction », un genre qu’il vient remettre à l’honneur. La violence psychologique - et parfois physique - vient appuyer le propos et nous permet une meilleure immersion dans cet univers envoûtant mais périlleux.
En définitive, le long-métrage n’est pas là pour tout nous servir sur un plateau, le récit demeure très mystérieux et de nombreuses questions n’ont pas d’autres réponses que les spéculations qui nous viennent en tant que spectateur. L’explication du phénomène devient une authentique quête de vérité dans laquelle la passionnante théorie de la métaphore semble venir jouer un rôle essentiel.
Et si le « miroitement » n’était que la manifestation biologique et concrète du reflet des éléments qui composent notre monde ? Le reflet d’une nature belle, sauvage et surprenante ; et celui d’une humanité en décrépitude qui est destinée à progressivement se détruire elle-même...
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